Traditionis custodes : Diviser pour régner ?

La fourmilière est en émoi. Par le Motu proprio Traditionis custodes, visant à faire disparaître la messe latine traditionnelle en affirmant que : « Les livres liturgiques (réformés) sont la seule expression de la lex orandi du rite romain », le pape François a donné un magistral coup de pied dans la fourmilière du monde traditionnel qui se développait paisiblement sous l’œil, plus ou moins bienveillant, des autorités ecclésiastiques.                                                                                                        

Les réactions et analyses ont été nombreuses. Charlotte d’Ornellas dans Valeurs Actuelles : « Qui veut la peau des tradis ? » a opposé les gentils « tradis »des communautés Ecclesia Dei aux méchants « intégristes » de la Fraternité Saint Pie X, Christophe Geffroy et l’abbé Christian Gouyaud, dans La Nef ont divisé, quant à eux, le monde traditionnel en trois catégories : les « gentils » qui acceptent le Concile et la nouvelle messe, les « rigides » qui ne s’interdisent pas des critiques sur le Concile et la réforme liturgique et enfin les « contestataires », ceux par qui vient tout le mal, ceux qui rejettent le Concile et la réforme liturgique, et en particulier les membres de la Fraternité Saint Pie X.                                                                                                              

Notons d’abord qu’il n’est guère élégant, alors que la maîtresse vient d’élever la voix dans la classe de se défendre en commençant par dire : « C’est pas moi, c’est ma voisine ! » La démarche de Christophe Geffroy s’apparente, en fait, à la dénonciation à l’autorité de ceux qui ne jouent pas le jeu de l’acceptation, sans réserve, du Concile et de la réforme liturgique. En effet si les « gentils », dont on ignore les sources qui permettent d’affirmer qu’ils sont majoritaires, sont nommément désignés, les « méchants », à des degrés divers, sont parfaitement identifiables. Nous sommes là dans une recherche du bouc émissaire, très girardienne, mais qui ne semble guère servir le bien commun de l’Eglise et de sa Tradition.

Quelle communion ?

Sur le fond, l’expression « pleine communion avec Rome » revient régulièrement sous la plume de ces auteurs pour déplorer le comportement des « intégristes » de Charlotte d’Ornellas qui sont aussi les « rigides » et les « schismatiques » de Christophe Geffroy. Cette formule est tout à fait nouvelle et constitue un objet théologique non identifié. La communion avec l’Eglise se manifeste par l’adhésion à l’ensemble du Credo et la reconnaissance de l’autorité du pape et des évêques. La Fraternité Saint Pie X n’a jamais remis en cause un seul dogme de foi et manifeste sa reconnaissance de l’autorité du pape et des évêques lorsque les prêtres, à la messe, prient aux intentions du Souverain Pontife et de l’évêque du lieu. De même, lors des saluts du Saint Sacrement le Tu es Petrus est bien chanté, publiquement, aux intentions du pape François.                                                                                              

Le 8 août dernier l’émission télévisée Le Jour du seigneur diffusait la messe et le sermon du frère Gabriel Nissim. Celui-ci déclarait, benoîtement, dans son homélie : « La messe est avant tout un repas, le « repas du Seigneur ». Les enfants pour qui le catéchisme ne s’est pas limité à faire des coloriages et à chanter en chœur « Jésus, reviens ! » sont en mesure de rétorquer à ce prêtre déjà ancien que ces propos semblent difficilement conciliables avec l’enseignement du Catéchisme de Saint Pie X : « La sainte messe est le sacrifice du Corps et du sang de Jésus-Christ, offert sur nos autels sous les espèces du pain et du vin en souvenir du sacrifice de la croix ». Qui s’est interrogé, publiquement, parmi les chantres de la « pleine communion avec l’Eglise » de la réelle communion de ce prédicateur avec la Tradition de l’Eglise suite à des propos qui, en d’autres temps, lui auraient valu les foudres du Saint-Office ? Personne à notre connaissance. Il se trouve, en outre, que les dévots de la « pleine communion » sont aussi, souvent, les fervents adeptes de « l’herméneutique de la continuité ». Nous attendons avec intérêt le « développement homogène » qui ferait passer la messe d’un sacrifice à un repas ainsi que la cohérence entre Traditionis custodes et l’enseignement conciliaire de Sacrosanctum concilium art4 : « Le saint Concile déclare que la Sainte Eglise considère comme égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus, et qu’elle veut à l’avenir les conserver et les favoriser de toutes les manières. » Sans oublier, sur ce sujet, ce qu’avait rappelé le cardinal Ratzinger dans ses « Principes de la théologie catholique » : Ce texte (constitution conciliaire Gaudium et Spes) joue le rôle d’un contre-syllabus (encyclique de Pie IX du 8 décembre 1864) dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Eglise avec le monde, tel qu’il était devenu depuis 1789. » Disons que tout cela ne fait pas très sérieux. Face à cet autoritarisme un évêque, Mgr Mutsaerts, évêque auxiliaire de Bois-le-Duc aux Pays-Bas, en vient à déclarer : « La liturgie n’est pas un jouet des papes mais l’héritage de l’Eglise. »                               

De nombreux observateurs reviennent aussi, souvent, sur l’acte schismatique qu’auraient constitué les sacres épiscopaux de 1988. A cette date Mgr Lefebvre, âgé de 83 ans procéda à ce qu’il nomma « l’opération survie de la Tradition », en sacrant quatre évêques, sans aucune juridiction, mais aussi sans mandat pontifical. En fait les atermoiements autour de la date des sacres épiscopaux, l’accord de principe sur le sacre d’un évêque ayant été accordé par le Saint-Siège, lui firent craindre que Rome ne cherche à gagner du temps jusqu’à son décès. Notons incidemment que la Fraternité Saint Pierre, fondée par d’anciens prêtres de la Fraternité Saint Pie X et forte de 330 membres, n’a toujours pas vu, plus de trente ans après sa fondation, un de ses prêtres accéder à l’épiscopat.                                                                                                                                                         

Quelles motivations ?

En fait les « gentils » sont ceux qui n’auraient aucune raison réelle et objective de faire les choix qu’ils ont faits. Ils ont choisi la liturgie traditionnelle, « et ce qui va avec » (Mgr Brouwet) mais, en fait, on ne sait pas très bien pourquoi puisqu’ils n’auraient rien à reprocher à ce qu’ils ont quitté. Tout cela relève de la psychiatrie ! Merci de nous épargner l’argument selon lequel la messe des paroisses ne serait pas celle du Concile. Chacun observera que les « autorités conciliaires » n’ont jamais condamné ces pratiques paroissiales comme elles l’ont fait de la messe traditionnelle. Enfin, que presque soixante ans après sa clôture on n’aurait toujours pas reçu correctement le Concile conduit à s’interroger, a minima, sur sa clarté.                                                                                                                

Enfin, opposer les méchants « intégristes » de la Fraternité Saint Pie X ou les disciples de l’abbé Barthe aux gentils « tradis » de certaines communautés Ecclesia Dei est une vision dialectique de la vie de l’Eglise déjà dénoncée en son temps par Jean Madiran : « Les termes d’»intégristes » et d’ »intégrisme » sont nés et se sont répandus à titre de sobriquets polémiques » (in « L’intégrisme Histoire d’une histoire »). Les uns et les autres vivent de la même foi, reçoivent les mêmes sacrements, sont confrontés aux mêmes difficultés pour l’éducation de leurs enfants et fréquentent souvent les mêmes lieux de messe. C’est sans doute ce qu’oublient trop d’observateurs : la crise de l’Eglise perdure, voire même s’amplifie. De manière générale les participants à la messe traditionnelle ne cherchent quà prier dans une cérémonie qui ne soit pas une «auto célébration de la communauté » (Cal Ratzinger) mais une véritable liturgie, transcendante, et les conduisant vers Dieu. Les priorités de ces laïcs pourraient se hiérarchiser de la manière suivante : d’abord la foi et les sacrements, ensuite la hiérarchie, enfin le droit canon.                                                                                                

Ils aiment et respectent les prêtres qui leur prêchent la foi catholique dans son intégrité. Leur rappellent que la messe est un sacrifice, que la Très Sainte Vierge Marie est Immaculée Conception, que l’enfer existe et n’est pas vide, etc. Combien de paroisses prêchent ces vérités ? Trop peu ! La priorité des homélies serait plutôt à l’obligation vaccinale et à l’accueil des migrants.                                                            

Les laïcs traditionalistes ne sont, bien sûr, pas concernés par la concélébration des prêtres et généralement peu intéressés par les Actes du Concile, pensum, bien daté, de 800 pages. Ils n’ont cependant aucune intention de « revenir en temps voulu au rite romain promulgué par les saints Paul VI et Jean-Paul II ». Ils savent ce qu’ils ont quitté et pourquoi. Ils ne demandent, en réalité, qu’à prier en paix et à vivre, tranquillement, de la foi de leurs pères. Où est le mal ?

                                                                          Jean-Pierre Maugendre

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6 réponses

  1. Benoit Yzern: Ce que vous dites est parfaitement juste. Je voudrais cependant ajouter quelque précisions. Montini n’était pas un cas isolé. Derrière sa personne se cache toute une pensée dont les origines remontent à Blondel, de Lubac, von Balthasar (le démantèlement des bastions), Maritain, mais également le mouvement liturgique qui avait subi une grave déformation par Dom Lambert Beauduin (bénédictin oecuméniste sanctionné par Pie XI), ainsi que Louis Bouyer

  2. Bonjour,

    L’ouvrage intitulé « Le Concile Vatican II – Edition intégrale définitive », paru aux éditions du Cerf en 2003, s’arrête à la page 639, en ce qui concerne les textes du Concile, les index et références y étant présents en aval de cette page.
    Or il se trouve que cette édition intégrale définitive est une édition bilingue (latin – français), ce qui signifie que l’ensemble du Concile, en français, peut tenir sur moins de 400 pages, en grand format, et ne nécessite près de 800 pages qu’en format de poche, comme on le voit au contact des « Actes du Concile Vatican II » parus aux mêmes éditions du Cerf, en 1966.

    Par ailleurs, le fond du problème concerne non seulement les expressions, mais aussi les omissions « conciliaires », dans l’acception idéologico-partisane de cet adjectif (cf. le parti moderniste ad intra et iréniste ad extra qui est aux commandes de l’Eglise depuis l’automne 1962), ces expressions et ces omissions étant particulièrement propices à une espèce de conciliation démesurée et dérégulée de l’Eglise et des fidèles catholiques, avec
    – une conception libérale de la liberté religieuse (cf. la première partie de Dignitatis humanae),
    – une conception agnostique des religions non chrétiennes (cf. la première partie de Nostra aeate),
    – une conception immanentisante de l’homme et du monde de ce temps (cf. Gaudium et spes),
    – une conception protestantisante du cheminement commun aux confessions chrétiennes, en vue de l’unité.

    C’est cette conciliation démesurée et dérégulée qui devrait être critiquée en priorité par les catholiques qui essaient d’être et de rester traditionnels dans la foi, y compris quand cette conciliation démesurée et dérégulée donne lieu à une mise en oeuvre de la part de papes considérés comme moins conciliaires et plus conservateurs que d’autres : combien de fidèles ont clairement conscience du fait que Jean-Paul II a été encore plus conciliaire que Paul VI, dans le cadre du dialogue inter-confessionnel oecuméniste et dans celui du dialogue interreligieux inclusiviste ?

    En d’autres termes, la question liturgique n’est certainement pas secondaire, mais est seconde, par rapport à la question doctrinale, ou, si l’on préfère, par rapport à la question doctrinalo-pastorale, compte tenu de la nouvelle conception des relations entre le magistère et la pastorale qui a cours depuis le début des années 1960 ou, en tout cas, depuis celui du Concile Vatican II.

    Néanmoins, puisque c’est la question liturgique qui est, notamment depuis juillet 2021, à l’ordre du jour, on se doit de remarquer que si le catholicisme qui essaie d’être traditionnel s’affiche et s’assume fréquemment en tant que traditionnel dans la foi, en revanche, le néo-catholicisme, qui réussit à être anti-traditionnel, ne s’affiche et ne s’assume pas toujours pour ce qu’il est vraiment : un néo-catholicisme essentiellement transformateur de l’Eglise.

    En effet, le point suivant gagnerait à être souligné plus souvent : la liturgie néo-catholique post-conciliaire, qui est d’ailleurs moins conciliaire (cf. Sacrosancto concilium) que montinienne, est pleinement porteuse d’une praxis, ou est tout à fait propice à une praxis, qui est mise au service d’une véritable transformation de l’Eglise catholique.

    Cette transformation de l’Eglise catholique a un caractère idéologique, dans le cadre de l’idéologie du dialogue ad extra et du renouveau ad intra, en ce que les partisans de cette transformation distinguent clairement et fermement, d’une manière partisane,
    – d’une part entre l’Eglise catholique d’avant le Concile et l’Eglise catholique d’après Vatican II,
    – d’autre part entre les catholiques qui ont tort d’essayer d’être et de rester fidèles au catholicisme ante-conciliaire, et les catholiques qui ont raison de réussir à accorder leur confiance au néo-catholicisme post-conciliaire.

    Dans cet ordre d’idées, si les catholiques traditionnels veulent vraiment se mobiliser et s’organiser davantage pour continuer à résister, ils ont à se former, et contribuer à former les autres, sur les origines, les composantes et les conséquences ante-conciliaires du dévoiement du « mouvement liturgique », ce dévoiement étant à l’origine de la conception et du déploiement néo-catholiques post-conciliaires de la liturgie montinienne, en tant que transformatrice de l’Eglise.

    La crise actuelle de l’Eglise et de la liturgie, ou plutôt, il faut bien le dire, la mutation actuelle de l’Eglise et de la liturgie, vient, en effet, d’assez loin, et il serait bon que les catholiques traditionnels connaissent et surtout fassent connaître les concrétisations du détournement de finalité du « mouvement liturgique » qui ont commencé à se manifester, tout d’abord dès le début des années 1930, et ensuite à partir de l’année 1945.

    Dans le même ordre d’idées, il serait peut-être tout aussi bon que les catholiques traditionnels comprennent et fassent comprendre que nul ne peut remédier à une chimère (le Concile Vatican II) au moyen d’un voeu pieux (l’herméneutique « du renouveau dans la continuité », et non, bien sûr, « de la continuité » !), à partir du moment où il y a, à la tête des diocèses, mais aussi à la tête des structures de formation des futurs prêtres, des hommes d’Eglise qui seront presque toujours plus pour que contre le parti moderniste ad intra et iréniste ad extra qui a conquis puis gardé le pouvoir dans l’Eglise catholique, au moment du Concile puis au moyen de l’après-Concile.

    Bon dimanche.

  3. Merci Jean-Pierre Maugendre pour cette réflexion lucide et courageuse. Je crois finalement que ce motus et bouche cousue proprio sera un coup d’épée dans l’eau si les fidèles tradis restent unis et combatifs. Nous ne sommes plus dans les années 70 où l’Eglise avait encore une autorité reconnue, voire une certaine puissance. A présent elle manque de prêtres. L’anarchie règne à tous les étages. La liturgie est en lambeaux. Les cathos de gauche ont rendu les armes. Bref, l’Eglise n’a plus les moyens d’imposer quoi que ce soit avec ce motu proprio hors sol et inapplicable, même si quelques dégâts seront à déplorer ici ou là de la part d’évêques mal embouchés. Restons confiant, un peu patient, la grâce est avec nous.

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