Les étranges déclarations de Mgr Lebrun

Les « œillères de l’Éducation nationale » expliqueraient l’essor de la Fraternité Saint Pie X, selon l’archevêque de Rouen interrogé le 9 février par le média en ligne Enquête d’actu. Il faut convenir que l’affirmation laisse pantois. Aucun sociologue du fait religieux en France (Émile Poulat, Guillaume Cuchet, Yann Raison du Cleuziou, etc.) n’avait encore émis cette hypothèse.

Remarquons au passage que Mgr Lebrun ne parle que la Fraternité Saint Pie X et semble ignorer que la moitié des écoles catholiques hors contrat relèvent du catholicisme « officiel », ex-Ecclesia Dei, pour lequel il n’a pas grande sympathie. Son raisonnement est qu’un tiers des parents qui font le choix de l’école catholique hors contrat et donc de la Fraternité Saint Pie X le feraient à la « recherche d’une discipline » que « l’Éducation nationale avec des œillères » ne ferait plus respecter. S’il est facile de faire le constat de l’échec de l’Éducation nationale en matière de discipline et de transmission des savoirs il est tout à fait surprenant d’observer l’impasse faite sur l’enseignement catholique sous contrat dont Mgr Lebrun a la charge dans le diocèse de Rouen. Quelle place tiennent les lycées Jean-Paul II ou Saint Jean-Baptiste de la Salle, à Rouen, dans l’esprit de Mgr Lebrun ? S’ils participent du naufrage général de l’Éducation nationale que fait-il pour y remédier ? Sinon pourquoi n’est-ce pas vers eux que se tournent les parents soucieux de discipline ? Comme la providence est taquine cela fait d’autre part deux années que la Fraternité Saint Pie X n’a plus d’école à Rouen. La communauté existe cependant toujours. Observons d’autre part qu’affirmer benoîtement que « la cause du dynamisme de la Fraternité Saint Pie X est plus à chercher du côté de l’Éducation nationale » présente l’immense avantage d’opérer un transfert de responsabilité vers la puissance publique d’une situation dans laquelle les évêques de France portent une très lourde responsabilité. En effet, selon l’expression consacrée, « Il n’y a pas d’amour. Il n’y a que des preuves d’amour ». Or si les déclarations d’amour envers les traditionalistes abondent les preuves sont moins tangibles. Ainsi Mgr Lebrun a interdit la célébration des baptêmes selon la forme traditionnelle pour les adultes de l’église Saint-Patrice où se célèbre la messe romaine traditionnelle et depuis deux années les confirmations selon le rite traditionnel ne sont plus possibles dans cette même église.

Soyons reconnaissant à Mgr Lebrun d’oser poser des questions de fond. Les fidèles de la Fraternité Saint Pie X reprocheraient à l’Église d’aujourd’hui « des positions doctrinales trop laxistes ». Ce n’est pas le sujet, la question n’étant pas de savoir si une position doctrinale est laxiste ou non, mais si elle est vraie ou fausse, conforme ou non au dépôt de la foi et à la tradition révélée. À cet égard un certain nombre d’affirmations ne peuvent que surprendre. Ainsi à propos de l’islam : « Personnellement je crois que les musulmans, à leur mort, seront sauvés par le Christ qui leur dira de venir. » Notons d’abord, avec tout le respect dû à un successeur des apôtres, que les avis personnels de Mgr de Rouen ne nous intéressent pas plus que ceux de mon tailleur ou de ma boulangère. On n’est pas évêque pour partager son avis personnel sur des sujets de foi mais plus simplement pour transmettre la foi reçue des apôtres. Or Mgr Lebrun ne nous livre aucun élément issu de l’Écriture, de la Tradition ou du magistère pour soutenir son hasardeuse position. En fait, il nous livre la thèse des « chrétiens anonymes » de Karl Rahner. Il est bien sûr possible, comme l’enseigne la tradition de l’Église que, dans le mystère de Dieu, tel et tel non catholique, qui observe la loi de Dieu inscrite dans son cœur, reçoive secrètement la lumière du Christ, soit intégré invisiblement à l’Église catholique et soit sauvé. Mais ce sur quoi sont fondées les déclarations de Mgr Lebrun comme les textes de Vatican II sur l’œcuménisme et le dialogue avec les religions, c’est que tous les non catholiques et non chrétiens sont présumés de bonne foi : ils sont donc des catholiques, « imparfaitement » certes, mais a priori catholiques. Par le fait, il n’y a bien sûr aucune démarche de conversion au christianisme à entreprendre vis-à-vis de populations qui en tout état de cause seront sauvées. Écho normand de l’affirmation du pape François en janvier dernier : « J’aime penser que l’enfer est vide. » Allégation en totale contradiction avec toute la Tradition de l’Église et, par exemple, le récit des apparitions de la Sainte Vierge à Fatima. Songeons également que si le salut est universel, non seulement potentiellement mais en acte, il n’y a plus besoin ni d’Église ni de sacrements, pas plus d’ailleurs que d’évêques et de pape. Cette question du salut est centrale dans les divergences entre les traditionalistes et l’enseignement postconciliaire. Mgr Lebrun note : « Nous sommes d’accord pour dire que Jésus sauve tous les hommes, mais eux considèrent qu’ils doivent devenir chrétiens tout de suite (…). Je ne peux pas imposer le christianisme par des lois. Nous avons renoncé à un État confessionnel. Eux non. » Là encore écho normand d’une récente déclaration du Président de la Conférence des Évêques de France, Mgr de Moulins-Beaufort : « Le décret de Vatican II sur la liberté religieuse est très clair. Le Christ n’est pas venu bâtir des nations catholiques mais il est venu fonder l’Église. Ce n’est pas la même chose. À force de traîner la nostalgie d’un État catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation. » Mais quel peut bien être l’intérêt de l’évangélisation si tout le monde est sauvé ? De plus s’il ne s’agit en aucun cas d’imposer la foi par des conversions forcées la légitimité d’un État catholique est contenue dans la réflexion suivante de Pie XII : « De la forme donnée à la société, en harmonie ou non avec les lois divines, dépend et s’infiltre le bien ou le mal des âmes, c’est-à-dire, si les hommes, appelés tous à être vivifiés par la grâce du Christ, respireront dans les contingences terrestres du cours de leur vie, l’air sain et vivifiant de la vérité et des vertus morales, ou le microbe morbide et souvent mortel de l’erreur et de la dépravation. » (Radio message 1 juin 1941) Nous n’aurons pas la cruauté de rappeler aux herméneutes de la continuité cet extrait de l’encyclique Quas Primas (11 décembre 1925) sur la Royauté sociale du Christ, dont nous célèbrerons le centenaire l’année prochaine : « Ce serait une erreur honteuse de dénier au Christ-Homme la puissance sur les choses civiles quelles qu’elles soient. » Mais qui, en définitive, croit encore dans le corps épiscopal à l’enseignement du pape Léon XIII dans l’encyclique Libertas (20 juin 1888) : « La liberté consiste en ce que par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle ».

Certainement animé des meilleures intentions Mgr Lebrun concède : « Nous avons la même foi en Jésus. » À la lumière des réflexions précédentes « croire en Jésus » est somme toute une affirmation un peu vague. Les fidèles traditionalistes, attachés ou non à la Fraternité Saint Pie X ne demandent au fond qu’une chose : pouvoir pratiquer la foi de leurs pères comme eux-mêmes l’ont vécue. Croire ce qu’ils ont cru et partager ce trésor, en particulier liturgique, avec tous. Ces laïcs demandent à l’Église de leur montrer le chemin, étroit, du ciel, de les accompagner vers le salut par la pratique des sacrements, de leur donner un avant-goût de la liturgie céleste par des célébrations dignes de Dieu et de sa majesté, etc. Tant que l’Église dite conciliaire se réduira à n’être que le mouvement d’animation spirituelle de la démocratie universelle dans un humanitarisme sirupeux, l’apologie du tri sélectif et du vaccin contre le Covid-19, des liturgies d’autocélébration de la communauté, une confusion doctrinale et disciplinaire en croissance exponentielle, etc., la Fraternité Saint Pie X et les communautés qui partagent son amour de la Tradition de l’Église ont de beaux jours devant elles sans qu’il soit besoin de mettre en cause l’échec de l’Éducation nationale…

Jean-Pierre Maugendre

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