Interview de Mgr Schneider par le Père Danziec

Votre livre s’intitule « La victoire du Christ sur les ténèbres de notre temps ». N’y a-t-il pas un hors sujet à parler de victoire du Christ, quand le christianisme semble lui-même disparaître ? Le message de l’Eglise apparaît aujourd’hui plus que jamais fragilisé…

Votre question renvoie à la nature même du message du Christ. Si le christianisme était une institution humaine, vous auriez raison et il y aurait un tel hors-sujet. Mais en tant qu’évêque catholique, je suis appelé à témoigner de l’origine divine de l’Eglise. Les baptisés de tout rang savent, avec la certitude de la Foi, que le Christ incarne la victoire, même dans la situation présente faite de confusion générale. Au milieu de ces ténèbres, nous devons renouveler notre confiance dans ce Seigneur qui a « vaincu le monde » (Jean 16,33). A de nombreuses reprises, dans l’Histoire de l’humanité, le Christ a usé de moyens simples pour permettre ces victoires. Dans le récit biblique, le triomphe de David contre Goliath représente l’un des passages les plus célèbres. Il nous dit que rien n’est impossible à Dieu. Dans votre pays, la figure de Jeanne d’Arc incarne précisément cela. Face à un pouvoir corrompu, elle a été condamnée et brûlée vive. Humainement, il semble qu’elle ait perdu. Mais désormais, elle est la grande gloire de la France, au-delà même des rangs des baptisés. C’est ainsi que Dieu confond souvent les superbes, ceux qui sont prisonniers de leurs vues terrestres. Pour Charles de Foucault, « L’Eglise est une apparente défaite dans une perpétuelle victoire ». Dieu utilise souvent des instruments simples, en apparence fragiles, pour que son message soit victorieux. Aujourd’hui il n’y a pas de raison qu’Il ne recourt pas aux mêmes méthodes. Je crois que la victoire du Christ passe justement de nos jours par les petits et les simples de l’Eglise, ceux qui ne font pas partie de l’establishment ou de ses structures administratives. Les familles courageuses, les jeunes gens ayant soif de vérité et de clarté sont pour moi des signes que, peu à peu, avance la victoire du Christ au milieu des ténèbres de notre temps.

Vous parlez « des ténèbres de notre temps », quels sont ces ténèbres selon vous ?

On assiste à un lent processus depuis la Renaissance, qui s’est accéléré depuis les philosophes des Lumières. La modernité a voulu écarté Dieu pour lui substituer l’homme et le placer, l’homme, au centre de ses préoccupations. D’abord il s’agit de reléguer Dieu à la sphère privée, avant de, petit à petit, arracher aux hommes le désir même de Dieu. L’idée même de transcendance tend à disparaître. Or si l’humanité écarte le Christ qui est la lumière du monde, alors inévitablement les ténèbres apparaissent. La Foi transmise par le Christ, et communiquée par la Tradition de l’Eglise, est la lumière du monde. Elle est l’unique et vrai chemin divin qui conduit à la vérité. Cette manière d’appréhender le réel garantit tout un écosystème civilisationnel. Les ténèbres augmentent hélas visiblement aujourd’hui dans la proportion où les hommes – y compris des hommes d’Eglise – ont mis le Christ de côté et la cohérence du décalogue qui va avec. Le Christ « est la lumière qui illumine chaque homme » écrit l’évangéliste saint Jean (Jean 1, 9). Cet anthropocentrisme radical représente pour moi la racine la plus profonde des ténèbres actuelles. En mettant au placard le « Tu adoreras Dieu seul », la nature ayant horreur du vide, l’homme moderne a fini par multiplier les idoles. Le relativisme a engendré une mentalité de supermarché quant à la religion où l’on estime que toutes les croyances se valent. Le matérialisme athée, conséquence directe du communisme, déifie le corps, le bien-être, les loisirs ou encore l’amour du confort. L’anthropocentrisme radical taille en pièce un autre commandement du décalogue : « Tu ne tueras pas ». Comme le pape Jean-Paul II l’avait souligné avec force, l’avortement reste une question dramatique pour notre monde car elle fait de l’homme un ennemi du plus faible et qui est sans défense. Quand on sait que certaines espèces animales sont davantage protégées que l’embryon humain, comment ne pas estimer cela grotesque ! Enfin le 6ème commandement – qui protège l’amour, le mariage, la famille – pâtit particulièrement de l’horizontalité moderne. La banalisation du divorce et de l’amour libre, l’idéologie du gender et des lobbys LGBT cherchent à effacer complétement la notion même de la famille traditionnelle telle que Dieu l’a créée : un homme, une femme et des enfants. S’attaquer à la cellule fondamentale de la société  relève d’un nouveau paganisme dans lequel l’homme se révolte contre Dieu et contre lui-même. Plus que jamais, les chrétiens doivent apporter la vraie lumière et ne refuser de se taire.

Apporter la vraie lumière justement, n’est-ce pas une mission impossible tant la remise en cause demandée est totale ou sévère ? Ce que vous estimez être ténèbres est lumière ou progrès pour nos contemporains. N’est-ce pas déjà trop tard pour parvenir à toucher leurs intelligences ?

Je pense que nous devons commencer à apporter la lumière du bon sens. Les structures souvent déconnectées des élites administratives ou internationales tendent à faire perdre ce « bon sens ». Or vivre contre le bon sens, je l’ai vu enfant durant la dictature soviétique, oblige à devenir soit une marionnette, soit un esclave. Une alliance entre tous les hommes de bonne volonté, catholiques ou non, est nécessaire pour rétablir une culture du bon sens. Un axiome célèbre de la théologie catholique enseigne que « La grâce présuppose la nature ». Il devient urgent de redire le fonctionnement de la nature, de la pensée, de la logique, montrer la beauté, la cohérence des commandements de Dieu. Eux-seuls peuvent épanouir l’humanité pourvu qu’elle les accepte et les épouse. Durant un très long voyage en train dans mon pays, j’ai eu l’occasion d’échanger en profondeur avec un autochtone kazakh, un musulman très pieux. Lui faisant découvrir les dix commandements, il a su y distinguer la sagesse naturelle qui en émanait. Les commandements de Dieu ne représentent pas d’abord une contrainte mais une véritable libération. Le diabétique à qui le médecin interdit le sucre ne le fait pas par cruauté mais pour son bien ! Cette discipline de vie, comme celle que réclame la réussite sportive pour gagner la coupe, oblige à faire des efforts. La paix de l’âme et des hommes est à ce prix.

Ces efforts réclament du courage. Or la peur semble dominer le comportement des hommes aujourd’hui. La peur de déplaire, la peur de la mort… Sur quel registre doit se vivre le courage aujourd’hui selon vous ?

Le courage de la justice me semble le plus important. La justice est la vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Est juste le fait de protéger et défendre ce qui est bon. Pratiquer le courage dans le monde dans lequel nous vivons, concrètement, oblige à ne pas cacher sa Foi, ses désaccords de bon sens dans le milieu de son travail, de son université. C’est cela vivre en « juste ». Il importe, par exemple, de refuser de se compromettre avec des événements LGBT dans le cadre de son travail. Les conséquences peuvent entraîner un licenciement ? Les catholiques ne doivent pas être des esclaves mais des personnes libres et indépendantes, jusqu’à prendre le risque, si besoin, d’aller à contre-courant. La pratique du courage est inhérente à la vie du chrétien.

Vous avez vécu l’oppression communiste enfant. Diriez-vous qu’être chrétien aujourd’hui dans un Occident apostat réclame davantage de courage que de vivre sa Foi sous l’oppression soviétique ?

La situation actuelle est très semblable à l’oppression communiste même si bien entendu les modalités répressives sont différentes. A l’époque du communisme, on pouvait être jeté en prison pour la pratique de sa Foi. Le monde occidental ne met pas sous les verrous les dissidents. Mais l’isolement ou l’exclusion sociale ont valeur de prison. L’esprit reste le même. Si vous ne vous agenouillez pas devant les idoles du politiquement correct, vous actez votre mort sociale. Hier comme aujourd’hui, la solution reste la même : seule la vérité rend libre.

La jeunesse se désintéresse de la chose publique (abstention record), les repères civilisationnels lui échappent souvent (ensauvagement), la sauvegarde de sa culture ou la question de l’au-delà ne l’intéresse pas, beaucoup grandissent avec la conviction qu’avoir des enfants abîmerait la planète… Finalement face à un tel désenchantement, qu’est-ce qui manque le plus à la jeunesse d’aujourd’hui ?

Tous ces éléments sont les conséquences d’un grand vide spirituel et d’une culture liquide. La modernité est marquée par un égoïsme exacerbé. Faute d’une transmission rigoureuse du sens des devoirs, la notion du Bien Commun échappe souvent à la jeunesse. En tout cela cependant, la jeunesse n’est pas coupable mais victime. Le matérialisme éhonté, la culture du néant l’ont profondément blessé. Le pape Pie XII rappelait que la jeunesse est faite pour l’exigence et l’héroïsme, l’aventure, l’audace. Pour donner à la jeunesse la possibilité d’exprimer le meilleur de ce qu’elle porte en elle, il est souhaitable de lui donner le goût de l’effort, de recourir aux méthodes traditionnelles de l’aguerrissement par le sport en équipe ou le scoutisme, de l’ouvrir aux vertus de l’émerveillement à travers les valeurs de beauté, d’harmonie.

On trouve parmi les contempteurs de la modernité et de ses effets délétères, des personnalités comme Eric Zemmour, Michel Onfray ou encore Alain Finkielkraut. Bien que non catholiques, ils semblent pourtant défendre les idéaux du christianisme avec davantage de pertinence que les croyants eux-mêmes. Pourquoi les chrétiens ne savent plus rendre raison de la Foi qui les habite ?

On ne peut se mentir : la maladie de l’Eglise ces dernières années se manifeste dans une sorte de complexe d’infériorité devant les idées dominantes du monde. Pour ne pas être persécutée par les médias, depuis le concile Vatican II particulièrement, la majorité du clergé, et même des épiscopats, se refuse de se lever pour dire non et préfère épouser les théories progressistes du moment. Aller dans le sens du vent a toujours été une tentation des hommes. Il faudrait selon moi que le Saint-Siège mène une action plus expressive pour unir toutes les forces des hommes de bonne volonté qui souhaitent rétablir les valeurs fondamentales de l’humanité. Celles-là même qui résident dans le décalogue.

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4 réponses

  1. Bonjour,

    Une grande partie de ce que dit Mgr Schneider est tout à fait appropriée à la situation et à la remédiation à la crise.

    Mais quand il dit ceci : « Si vous ne vous agenouillez pas devant les idoles du politiquement correct, vous actez votre mort sociale », on peut ajouter ce qui suit : « Si vous ne vous agenouillez pas devant les idoles de l’interreligieusement correct, vous actez votre mort ecclésiale ».

    Or, il se trouve que les idoles de l’interreligieusement correct ont commencé à être imposées par des docteurs et par des pasteurs catholiques dès le concile Vatican II, au moyen de la déclaration Nostra aetate, puis, davantage, au cours des pontificats de Jean-Paul II puis de Benoît XVI, notamment lors des diverses réunions à Assise.

    De même, quand Mgr Schneider dit : « Il faudrait selon moi que le Saint-Siège mène une action plus expressive pour unir toutes les forces des hommes de bonne volonté qui souhaitent rétablir les valeurs fondamentales de l’humanité », on a envie de lui répondre : « Il faudrait selon moi que le Saint-Siège mène une action plus expressive pour unir toutes les forces des catholiques de bonne volonté qui souhaitent rétablir les valeurs fondamentales du catholicisme »…

    Bonne journée.

  2. Loué soit Jésus Christ,
    Pour confirmer les excellents propos de Mgr Schneider , à quel moment la victoire de Dieu a été totale ?
    Lorsque Jésus, notre Seigneur Bien aimé , s est retrouvé  » seul  » abandonné de tous ,cloué sur une croix en bois Lui l Homme-Dieu sans péché, TOUT LE MONDE JUSQU’AUX APÔTRES ÉTAIT CONVAINCU QUE TOUT ÉTAIT FINI !
    Eh bien c est là que la victoire est arrivée : LA RÉSURRECTION ! ! !
    L église catholique et apostolique , actuellement une prostituée, devra encore tomber bien bas pour crier vers son DIEU
    Je suis déçu par notre pape incapable de dresser la croix du Christ au monde comme seul salut, chemin et Vérité !
    Quel exemple de fidélité et de défense de la royauté du Christ et de sa sainte Mère la Vierge Marie venant de nos frères et soeurs Orthodoxes !
    Chapeau !
    Prions pour notre conversion , la conversion de la France, la conversion de notre église catholique romaine
    Comme disait Ste Jeanne d’arc : DIEU 1ER SERVI

  3. Mgr Schneider, malgré sa lucidité et son courage, plaisante sans doute quand il affirme que « la majorité du clergé, et même des épiscopats, se refuse de se lever pour dire non et préfère épouser les théories progressistes du moment. Aller dans le sens du vent a toujours été une tentation des hommes ». !
    Qui a inventé ces « théories progressistes » si non le clergé lui-même depuis la fin du dix-neuvième siècle ? Théories qui, malgré le courageux intermède de saint Pie X, n’ont fait que se propager et se répandre pour atteindre la plénitude de leurs nocivité sous François.
    Prétendre que « clergé et épiscopats se refusent de se lever pour dire non et préfèrent épouser les théories du moment » est une aimable plaisanterie indigne de l’importance du sujet car , en fait, ce sont ces clergés et ces épiscopats, qui, loin d’aller « dans le sens du vent » prêchent l’apostasie à temps et à contre-temps et conduisent l’Eglise visible à sa ruine.
    D’une manière plus générale, depuis quand l’Eglise doit-elle se préoccuper de « théories » qui échappent à la Révélation et à la Tradition constante enseignée depuis deux mille ans, elle qui est chargé – en théorie – de dénoncer ces théories quand elles sont contraires à la foi ?
    En réalité, Mgr Schneider veut nous faire passer l’image d’une Eglise timorée alors que nous avons affaire à une Eglise militante, profondément corrompue et passée, pour une large part, du côte de « l’adversaire » avec armes et bagages.
    Décidément saint Catherine de Sienne est bien morte.

    Louis SAINT MARTIN

    1. Bonjour,

      Vous avez raison, en ce sens que bien des clercs, parmi les plus fervents approbateurs et applicateurs de l’esprit du Concile, de l’esprit d’Assise, de l’esprit d’Abou Dhabi ou de l’esprit d’Amazonie, ne sont pas du tout timorés face aux puissances de ce monde, mais sont, au contraire, clairement et fermement convaincus, en l’occurrence, par l’opinion erronée d’après laquelle

      – moins on annonce Jésus-Christ, en tant que Fils unique de Jésus-Christ, ou en tant que seul Médiateur, Rédempteur, Seigneur et Sauveur, ou moins on exhorte à la conversion, d’une manière explicitement et spécifiquement catholique, quitte à ce que cela déplaise à des catholiques modernistes et à des non catholiques,

      et

      – plus on dialogue entre frères humains, d’une manière authentiquement et solidairement chrétienne ou « christique ».

      Dans cet ordre d’idées, il est certain que nous sommes en présence des conséquences d’une quasi inversion des valeurs, dont les composantes ne sont pas toujours compréhensibles, pour qui connaît peu et comprend mal ce que l’on peut appeler « le premier avant-Concile », sous Pie XI, à partir de la fin des années 1920, et surtout « le second avant-Concile », sous Pie XII, à partir du milieu des années 1940.

      « Si vous êtes intransigeants, c’est que vous n’avez pas une vision et une action évangéliques »… Pourtant, l’intransigeance est souvent présente, dans le Nouveau Testament, notamment chez St Matthieu, St Jean, St Paul et St Pierre, et l’on ne voit pas très bien en quoi un catholicisme intransigeant (je n’ai pas dit : intolérant) pourrait être non seulement attractif et expressif en plénitude, mais aussi, en un sens, crédible, en tant que « salvifique ».

      Je vous suggère de lire l’Histoire des crises du clergé français contemporain (1977), de Paul VIGNERON…

      Bonne journée.

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